Jérôme Chigard – Directeur de l'Ingénierie Patrimoniale ODDO BHF Banque Privée
Le rapport successoral et la preuve de l’intention libérale : malheur au lésé !
Dans un récent arrêt du 30 avril dernier, la première chambre civile de la Cour de cassation revient sur l’épineuse question du rapport des libéralités entre cohéritiers et réaffirme qu’il ne saurait y avoir de libéralité rapportable sans preuve de l’intention libérale !
Qu’est-ce que le rapport ?
Il s’agit d’une institution du droit civil selon laquelle l’héritier, qui doit recueillir avec d’autres une succession, doit remettre dans la masse successorale les biens dont le défunt l’avait gratifié. Ainsi donc lorsque le défunt a consenti, par donation entre vifs ou testament, des libéralités à certains de ses successibles, pour éviter que ceux-ci ne se trouvent avantagés au détriment de leurs cohéritiers, ils sont astreints au rapport. Sauf à en avoir été dispensé.
On imagine aisément que l’application de cette règle est source d’un abondant contentieux dans les familles notamment dans les situations ambiguës où l’avantage est indirect. Or seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du donateur dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession. Il faut donc que deux éléments soient constatés : un appauvrissement et une intention libérale.
C’est dans un cas d’espèce de ce genre que la Cour de cassation s’est prononcée. Les faits étaient les suivants. Dans le cadre du partage d’une succession, des héritiers demandèrent en justice le rapport à la succession de la valeur d’actions d’une société familiale cédées par leur auteur défunt à certains de ses présomptifs héritiers, plusieurs dizaines d’années avant son décès, sans que la réalité du paiement d’un prix ait pu être établie. Les juges d’appel ont donné raison aux requérants en qualifiant les cessions en cause de donations rapportables. La Cour de cassation les censure. Elle reproche aux juges du fond d’avoir déduit l’existence de l’intention libérale du cédant, à partir de son seul appauvrissement alors que l’élément intentionnel de la libéralité aurait dû être caractérisé de façon autonome.
Cette décision fait écho à d’autres situations encore plus courantes de logements mis gratuitement à la disposition d’un héritier sommé au moment du règlement de la succession de rapporter l’avantage dont il a bénéficié, ses cohéritiers s’estimant désavantagés. Dans ce domaine, un revirement de jurisprudence a été opéré il y a une quinzaine d’année en faisant porter au créancier du rapport (celui qui s’estime lésé) la démonstration de l’intention libérale du défunt. Depuis cette époque, l’élément psychologique ne se présume plus. Là est la difficulté quasi insurmontable de l’administration de cette preuve qui va faire obstacle à l’obligation du rapport.
Il faut donc pour les héritiers tenter de régler la question du vivant du propriétaire afin de lui faire clarifier ses intentions sous peine de ne pouvoir obtenir gain de cause.
Sur le plan fiscal, il n’est pas certain que l’approche de l’administration reste alignée sur le droit civil. Bien que légalement autorisée à imposer les seules libéralités civiles, l’administration considère que celles-ci sont caractérisées du seul fait de l’appauvrissement indépendamment de toute intention. On peut ainsi citer le traitement fiscal de la renonciation à usufruit ou encore le cas des prêts intrafamiliaux qui font l’objet de redressements sans que l’intention libérale du présumé donateur n’ait été établie.
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