Laurent Denize – Co-Directeur des Investissements

Vent favorable, jusqu’à quand ?

Il y a des moments où les marchés donnent l’impression d’avoir oublié la gravité. L’euphorie est palpable, les valorisations flirtent avec leurs sommets historiques, et pourtant chacun avance, confiant, sous un grand ciel bleu. Les investisseurs ont choisi de voir le verre à moitié plein. Et ils n’ont pas tort, il n’y a aujourd’hui pas de signal fort de retournement tant macro que micro économique. Donc, tant que le vent souffle dans le bon sens, autant profiter des rafales favorables.

L’environnement de marché actuel se caractérise par des indicateurs macroéconomiques résilients, une liquidité abondante, et une confiance presque intacte malgré un contexte politique et géopolitique agité. Les valorisations élevées, notamment aux États‑Unis, appellent certes à la prudence, mais il serait exagéré de parler de bulle imminente. Les marchés continuent de montrer une dynamique robuste, portée par des segments porteurs comme les méga capitalisations américaines, l’IA et les opportunités émergentes en Asie. Dans ce contexte, il s’agit moins de se mettre à l’abri que de savoir capter le vent porteur.

États Unis : en grand largue… mais signes de dé-vente

Outre-Atlantique, les indices affichent une forme insolente. L’IA alimente l’optimisme, les méga capitalisations continuent de dominer — 26 des 30 plus grandes capitalisations mondiales sont américaines — et la consommation, bien que plus hésitante, reste soutenue.

Cependant, quelques fissures apparaissent : les tarifs commerciaux pèsent sur les perspectives, et le marché du travail montre des signes d’essoufflement. Les réactions de marché après certaines annonces (Oracle, AMD) ont parfois été excessives, soulignant que la volatilité peut surgir à tout moment. Bref, la fête continue, mais les invités commencent à regarder vers la sortie. Nous restons donc encore exposés aux actions américaines, mais en restant sélectifs et en privilégiant les acteurs les plus solides – avec des marges et des flux de trésorerie robustes, comme les hyperscalers et les leaders de l’IA dont la monétisation est tangible – capables de surfer sur les risées de croissance. Les sociétés fortement endettées doivent être évitées, pour preuve la faillite récente de First Brands.

Europe : un souffle plus mesuré, mais porteur

En Europe, le tableau est plus nuancé. Les tarifs américains et une demande mondiale moins dynamique pèsent sur la croissance. Néanmoins, l’Allemagne, grâce à ses mesures de relance budgétaire et son tissu industriel en transformation, offre des perspectives encourageantes. En plus d’une politique fiscale agressive, l’Europe pourrait bénéficier d’une politique monétaire plus accommodante dans les prochains mois. La désinflation continue et les taux réels sont beaucoup trop élevés dans cet environnement.

En France, la situation reste plus mitigée : consommation stable mais investissement faible, finances publiques sous contrainte. Nous conservons donc un positionnement neutre sur le marché français et un biais plus positif sur l’Allemagne. Les petites et moyennes capitalisations européennes, plus domestiques, apparaissent particulièrement résilientes et offrent un potentiel de revalorisation intéressant. En termes de secteurs, les grandes banques européennes affichent des ratios de capital élevés et profitent d’une pente de taux favorable, renforçant notre conviction sur le secteur financier. Avec son marché mature mais résilient, capable de traverser les vents contraires tout en maintenant des marges élevées et une croissance sélective, le secteur du luxe représente lui aussi un exemple concret de “rafale favorable” que l’on peut capter de manière stratégique. Nous sommes plus circonspects sur la santé même si les valorisations sont aujourd’hui particulièrement attractives.

Taux et crédit : un portage réfléchi

Les inquiétudes sur la dette et les déficits persistent. Les banques centrales pourraient intervenir pour limiter la hausse des taux longs : fin du QT1, achats de maturités longues, ou “opérations twist2”. En zone euro, l’objectif est d’éviter des taux réels trop élevés qui pèseraient sur l’immobilier et la croissance.

Nous maintenons donc une position longue sur la duration, en Europe et aux États-Unis, comme protection face à un ralentissement potentiel et pour capter le portage attractif offert par les obligations souveraines et certaines obligations locales émergentes. Nous restons à l’écart des obligations françaises en attente d’un signal plus marqué et surtout d’une visibilité accrue sur la trajectoire de la dette.

Côté crédit, nous maintenons notre exposition. Les spreads3 restent serrés, mais la combinaison de fondamentaux solides et de taux de défaut limités continue d’offrir un portage attractif.

Nous privilégions les segments Investment Grade4 et High Yield5 à courte duration, qui offrent un couple rendement/risque équilibré et une volatilité contenue.
Les marchés monétaires, en revanche, offrent peu d’intérêt avec des rendements à peine positifs une fois l’inflation déduite.

Chine et marchés émergents : un rééquilibrage à saisir

Après 2018, la Chine réoriente son économie de l’immobilier vers une révolution industrielle large (technologie, automobile), créant des surcapacités temporaires mais un potentiel à long terme. Le gouvernement cherche à soutenir la valorisation des actifs financiers afin de stimuler la consommation et l’investissement domestique.

Pour les marchés émergents plus largement, la perspective d’un dollar plus faible, le rebond des économies asiatiques et les opportunités en Asie du Sud-Est justifient un biais positif sur les actions. Les obligations locales émergentes restent intéressantes pour le portage, avec un rendement réel attractif (~5-6 % dans certains cas) dans un contexte d’inflation contenue.

Or et actifs réels : équilibre et diversification

L’or conserve son rôle stratégique dans un contexte de dédollarisation progressive et d’achats soutenus par les banques centrales, notamment en Chine et en Inde. Il peut par ailleurs être intéressant de revenir doucement sur les actifs réels tels immobilier, Infrastructure dans une optique de possible reflation potentielle à moyen terme. L’évolution de la démographie et les politiques fiscales et monétaires accommodantes partout dans le monde pourraient recréer des conditions plus favorables à un rebond de l’inflation. Nous n’y sommes pas …

Nos convictions –garder la tête froide

Les marchés actions mondiaux restent chers, surtout aux États Unis, et la volatilité pourrait revenir face aux tensions commerciales et à la dynamique du marché du travail. Cependant, la liquidité abondante, la résilience des résultats et certaines opportunités spécifiques rendent une posture totalement défensive peu justifiée. Nous entrons dans une phase où un peu de prise de profit s’impose.

Conclusion – il est temps de choquer un peu la voile

Les marchés offrent aujourd’hui un paysage contrasté : des perspectives de croissance réelles dans certains segments et régions, et des prix qui incorporent déjà beaucoup de bonnes nouvelles. Notre gestion consiste à protéger le capital face aux excès, tout en restant exposé aux moteurs de croissance identifiés par notre scénario et nos convictions.

Investir aujourd’hui ne consiste pas à trop border la voile, mais à avancer avec mesure, à la limite du faseyement. Il faut choisir le bon cap, c’est-à-dire les segments porteurs de la croissance future. Et tenter de capter les futurs Nvidia, Oracle ou Rheinmetall de demain, tout en évitant tout dessalage, dans un environnement qui génère autant de vents contraires.

1 Quantitative Tightening (resserrement quantitatif)
2 Stratégie utilisée par les banques centrales, notamment la Fed pour influencer la courbe des taux d’intérêts
3 Ecart de rendement (prime de risque)
4 Obligations de qualité
5 Obligations à haut rendement

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