Christiane Hobeica – Responsable de la Gestion Conseillée, ODDO BHF

Réarmer son portefeuille face à un monde en mutation

Entre tensions géopolitiques mondiales, guerre en Ukraine et incertitudes autour du leadership et  de l’engagement américain, l’Europe semble amorcer un changement profond de posture stratégique. Après plusieurs décennies de sous-investissement militaire, les annonces budgétaires se multiplient et marquent une volonté claire de renforcement des capacités de défense.

Le plan européen « ReArm Europe », annoncé par Ursula von der Leyen, prévoit jusqu’à 800 milliards d’euros pour renforcer les capacités de défense du continent. En parallèle, l’Allemagne rompt avec sa tradition de rigueur budgétaire pour mettre en œuvre un programme ambitieux. Ces engagements ont trouvé un écho concret lors du dernier sommet de l’OTAN (24-25 juin), au cours duquel les États membres ont acté une trajectoire de dépenses atteignant jusqu’à 5 % de leur PIB, dont 3,5 % alloués aux dépenses militaires stricto sensu, et 1,5 % dédiés aux infrastructures, industries stratégiques et cybersécurité. Un changement d’échelle, comparé au seuil de 2 % observé jusqu’à présent.

Dans ce contexte, le président français a annoncé la veille de la fête nationale du 14 juillet vouloir accélérer l’effort national : le doublement du budget des armées, initialement prévu pour 2030, serait avancé à 2027, justifié par « les bascules du monde qui interviennent plus vite que prévu » et la nécessité de garantir la liberté et la sécurité du pays.

Source : données Bloomberg au 18 juillet 2025

Une dynamique qui a fortement attiré les investisseurs

Le secteur de la défense, longtemps en retrait des préférences sectorielles, bénéficie désormais d’un environnement favorable, porté par des plans pluriannuels clairs, une visibilité accrue et des flux budgétaires sans précédent. Cette dynamique s’est traduite par une performance remarquable des valeurs du secteur, en particulier en Europe, qui est aujourd’hui au cœur des efforts de réarmement.

La création d’ETFs (fonds indiciels cotés) thématiques centrés sur la défense — et notamment les valeurs européennes directement concernées par les plans de dépenses souveraines — illustre ce regain d’intérêt de la part des investisseurs. Cette réallocation sectorielle s’inscrit dans un mouvement structurel, après une longue période de domination des valeurs de croissance traditionnelles, comme le luxe ou la technologie.

Aux oubliettes, le tabou ESG ?

Historiquement, le secteur de la défense a souvent été exclu des portefeuilles dits responsables, au même titre que d’autres secteurs jugés sensibles. Toutefois, les événements récents ont conduit à une réévaluation progressive de cette approche. L’argument selon lequel la sécurité des populations et la stabilité des États font partie intégrante du pilier « S » (Social) des critères ESG commence à émerger dans certains cercles de réflexion. Cette lecture s’inscrirait dans l’Objectif de Développement Durable numéro 16 des Nations Unies, prônant « Paix, Justice et Institutions efficaces ».

Des discussions sont en cours au sein de plusieurs institutions financières et agences de notation pour adapter les référentiels ESG afin de mieux intégrer ces enjeux sécuritaires, tout en maintenant un cadre rigoureux d’évaluation. Cela passerait par exemple par la prise en compte de la transparence dans la gouvernance des entreprises ou alors du type d’armes qu’elles fabriquent. Si les armes conventionnelles tendent ainsi à sortir du cadre d’exclusion, un large consensus demeure sur l’exclusion des armes controversées non-discriminatoires.

Une exposition indirecte (et moins sujette à polémique) à cette dynamique peut aussi passer par les segments de la cybersécurité, des logiciels ou des infrastructures numériques liées à l’aérospatial et à la défense, secteurs également visés par les 1,5 % d’investissements prévus dans le cadre du sommet de La Haye.

Perspectives futures et points de vigilance

Les valorisations atteintes par certaines entreprises du secteur reflètent déjà en partie cet enthousiasme. Si la résilience des titres a été notable ces derniers mois – avec une capacité à rebondir rapidement après les phases de correction –, il convient de rappeler que les marchés restent sensibles aux aléas géopolitiques, à la réglementation et à l’évolution des préférences politiques. Mais la visibilité budgétaire, la solidité des carnets de commande et les enjeux de souveraineté pourraient continuer à soutenir ces performances.

De potentielles introductions en Bourse pourraient voir le jour, notamment d’acteurs de taille intermédiaire, qui chercheraient à tirer parti de cette dynamique sectorielle. Ces mouvements devront être analysés avec prudence, en tenant compte des fondamentaux propres à chaque entreprise.

« Réarmer » votre portefeuille ?

Le secteur de la défense s’impose aujourd’hui comme une thématique structurante pour les États comme pour les marchés. Sa résurgence interroge les paradigmes traditionnels de l’allocation d’actifs, notamment dans un cadre ESG en pleine redéfinition.

L’exposition à ce thème, directe ou indirecte, fait sens dans une stratégie diversifiée, en tenant compte du profil de risque et de l’horizon d’investissement de chacun. La question n’est plus tant s’il faut s’intéresser à la thématique, mais plutôt comment y accéder de manière sélective, en identifiant les acteurs les mieux positionnés pour capter les flux budgétaires à venir.

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