David tavernier – ingénieur patrimonial

Protéger plusieurs générations et alléger la fiscalité : la transmission en deux temps grâce aux libéralités graduelles et résiduelles

L’allongement de la durée de vie, la pression fiscale croissante, la recomposition fréquente des familles, la nécessité de protéger une personne vulnérable ou le besoin de préserver certains biens au sein du cercle familial sont autant de raisons qui poussent de plus en plus d’individus à repenser la transmission de leur patrimoine. Dans ce contexte, il devient essentiel d’adopter une approche plus souple, évolutive et adaptée à ces nouvelles réalités.

Une personne peut souhaiter, pour différentes raisons, organiser la transmission successive d’un bien donné ou légué en prévoyant qu’au décès d’un premier bénéficiaire ce bien revienne à un second bénéficiaire, désigné à l’avance.

Cette transmission en deux temps, autrefois juridiquement quasi impossible à mettre en œuvre, est désormais possible grâce à la loi du 23 juin 2006 réformant les successions et les libéralités.

Plusieurs mécanismes permettent aujourd’hui de faire passer un bien d’un patrimoine A à un patrimoine B puis à un patrimoine C, dans un cadre souple et performant :

Libéralités graduelles et résiduelles : deux gratifiés pour une seule transmission

Ces deux dispositifs permettent de gratifier successivement deux bénéficiaires. Au décès du premier bénéficiaire, le second est appelé à recevoir les biens qui ont été donnés ou légués, soit dans leur intégralité (libéralité graduelle), soit ce qu’il en subsiste (libéralité résiduelle).

La libéralité graduelle

La libéralité graduelle impose au premier bénéficiaire de conserver et de transmettre les biens au second gratifié, désigné dans l’acte du donateur / testateur. Le premier bénéficiaire est pleinement propriétaire mais il ne peut, sauf exception, se défaire des biens reçus.

La libéralité graduelle est, comme l’indique le code civil, « grevée d’une charge comportant l’obligation pour le donataire ou le légataire de conserver les biens ou droits qui en sont l’objet et de les transmettre, à son décès, à un second gratifié, désigné dans l’acte » (article 1048). Ce double engagement – de conserver puis de transmettre – justifie l’adjectif « graduel » de la transmission, opérée d’un degré à l’autre.

La libéralité résiduelle

La libéralité résiduelle, plus souple, permet au premier gratifié de disposer librement des biens. Le second ne recevra que ce qui subsistera au décès du premier. L’article 1057 du Code civil s’inspire du dispositif ancien de « legs de residuo » : le second donataire ou légataire est appelé « à recueillir ce qui subsistera du don ou legs fait à un premier gratifié à la mort de celui-ci».

Dans les deux cas, il est important de souligner qu’il n’existe aucun lien juridique entre les deux deux bénéficiaires (bien qu’il puisse exister un lien filial). Le second bénéficiaire tient en effet ses droits directement du donateur initial, qui peut nommer comme bon lui semble ses deux bénéficiaires successifs. Dans le cas où le second bénéficiaire viendrait à décéder, ou à renoncer au bénéfice de la libéralité, le donateur est libre de désigner un second gratifié, ou à nommer ses héritiers.

Pourquoi choisir une libéralité graduelle ?

La clause dite substitutive, graduelle ou résiduelle, ne peut être ajoutée dans une donation que faite de son vivant (par exemple, lors d’une donation simple, d’une donation-partage ou d’une donation-partage transgénérationnelle) ou d’un testament.

Cette libéralité assurant une double charge, conserver et transmettre, elle doit être privilégiée lorsque le donateur souhaite être assuré que les biens transmis reviendront effectivement au second gratifié qu’il a désigné.

Dans une donation ou legs graduel, la première personne à recevoir le bien devient pleinement propriétaire. Cependant elle est dans l’obligation de conserver ce bien pour le transmettre par la suite au second bénéficiaire, à moins que le disposant ait prévu une exception. Ainsi elle peut utiliser, gérer le bien comme elle l’entend, contrairement à un usufruitier qui ne peut que profiter du bien ou en percevoir les revenus sans en disposer librement.  Cependant dans le cas où le second bénéficiaire viendrait à décéder avant le premier bénéficiaire, alors celui-ci deviendrait définitivement pleinement propriétaire du bien transmis.

Si toutefois la transmission de la donation se fait au second gratifié, celle-ci doit s’effectuer en nature. La loi prévoit une exception à cette règle lorsque la donation porte sur des valeurs mobilières. En tant que biens fongibles, si ces valeurs sont vendues, celles qui sont achetées à la place peuvent les remplacer et être transmises au second bénéficiaire.  

Une autre exception à cette règle  autorise le donateur à spécifier la charge imposée au premier gratifié, en le contraignant à ne  conserver que la valeur à défaut du bien en nature. L’ingénierie patrimoniale peut imaginer des solutions alternatives comme par exemple organiser le placement des biens à transmettre au sein d’une société civile patrimoniale dont les parts seront l’objet de la transmission.  L’acte peut ainsi être aménagé avec plus de souplesse pour transformer l’obligation de conservation en nature en une simple conservation de valeur.

Pourquoi choisir une libéralité résiduelle ?

Dans le cas des libéralités résiduelles, le premier bénéficiaire peut utiliser, vendre ou même donner le bien (sauf interdiction du disposant), sans obligation de conservation stricte. Le second gratifié héritera du reliquat, s’il en reste.

Les valeurs mobilières font toutefois, là-encore, exception à cette règle. En effet en cas de cession, les titres acquis en remploi restent soumis à la même charge de transmettre.

Comment sécuriser ces transmissions ?

Ces mécanismes reposent essentiellement sur la confiance du donateur envers son premier bénéficiaire. Afin de s’assurer que le premier bénéficiaire désigné exécutera la charge qui lui incombe, de transmettre le bien qu’il a reçu au second gratifié, le donateur peut mettre en place des garanties spécifiques à travers des mesures conservatoires, comme le précise le code civil : « il appartient au disposant de prescrire des garanties et des sûretés pour la bonne exécution de la charge ».

Celles-ci peuvent prendre différentes formes : une obligation d’investir des liquidités, la désignation d’une personne garante chargée de vérifier que le premier bénéficiaire applique les conditions énoncées, l’ouverture d’un compte bancaire spécial et l’établissement de comptes-rendus de gestion, la constitution d’un gage ou caution… etc.

Quelle fiscalité pour les libéralités graduelles et résiduelles ?

Schématiquement, le régime fiscal des donations graduelles et résiduelles se caractérise par :

Pour quelles raisons recourir à ces mécanismes de transmission :

Ces libéralités peuvent répondre à divers besoins :

Un outil puissant mais délicat à manier

D’un maniement complexe et pouvant générer des situations fâcheuses si elles sont mal appréhendées, ces transmissions doivent être utilisées avec le meilleur discernement juridique et fiscal. Pour que cette « valse à trois temps » soit harmonieuse, le chef d’orchestre doit donc s’adjoindre les conseils de spécialistes de cet art pour écrire la partition. Nos experts en ingénierie patrimoniale sont à votre disposition pour vous accompagner dans ces réflexions bien utiles.

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