Christiane Hobeica – Responsable de la Gestion Conseillée
L’Europe face à l’urgence de sa souveraineté
Depuis plusieurs années, l’Europe est confrontée à une série de chocs qui ont mis en lumière sa vulnérabilité. La crise du COVID-19, certes mondiale, a révélé l’importance d’une forme d’autonomie : les pays ont subi des pénuries et une dépendance excessive envers d’autres puissances, tant sur le plan sanitaire et pharmaceutique qu’industriel. Le déclenchement du conflit russo-ukrainien début 2022 n’a fait que renforcer cette prise de conscience. L’Europe a craint une grave crise énergétique, tout en réalisant son retard en matière d’organisation, d’équipements et de souveraineté militaire. Autant de signaux d’alerte qui rappellent que l’Union européenne ne peut plus compter uniquement sur son arsenal existant et ses alliances pour assurer son avenir.
L’arrivée du président Trump au pouvoir aux États-Unis a accentué les inquiétudes, ses messages étant résolument unilatéraux et centrés sur l’Amérique. Le soutien américain n’apparaît plus comme un acquis. Aujourd’hui, une évidence s’impose : l’Europe doit renforcer sa souveraineté.
Défense : vers une capacité crédible
Le désengagement relatif des États-Unis oblige l’Europe à prendre en main sa propre sécurité. Les budgets de défense ont été fortement augmentés afin de se rapprocher de l’objectif fixé par l’OTAN (jusqu’à 5 % du PIB, donc 3,5% pour la défense au sens strict et 1,5% dédiés aux infrastructures, industries stratégiques et cybersécurité). Ces dépenses devraient être prioritairement orientées vers des acteurs européens, afin de renforcer une autonomie industrielle et technologique cohérente avec l’ambition stratégique du continent.
Sécurité technologique : reprendre la main
Dans un monde où la puissance se joue sur l’intelligence artificielle, la cybersécurité ou le cloud, l’Europe accuse un retard par rapport aux États-Unis et à la Chine. Or, la sécurité des données et des communications est un enjeu majeur. Mieux protéger où ces données sont hébergées et par où elles transitent suppose de réduire la dépendance aux fournisseurs américains (environ 80 % des données européennes sont encore stockées hors d’Europe) et de protéger les réseaux nationaux d’éventuelles prises de contrôle extérieures.
Cela implique également des investissements stratégiques dans le spatial et le cloud. L’European Chips Act1 a été lancé avec l’objectif de doubler la part de marché mondiale de l’Europe dans les semi-conducteurs, pour atteindre 20 %. Les investissements concernent à la fois les capacités de production, le soutien aux équipementiers stratégiques et la recherche & développement.
Énergie : sortir des dépendances, accélérer la transition
La souveraineté énergétique européenne est devenue une priorité stratégique depuis la guerre en Ukraine. L’Europe reste importatrice d’environ 80% de l’énergie qu’elle consomme. Afin de réduire la dépendance au gaz russe, elle diversifie ses sources d’approvisionnement, développe le GNL2 et accélère la transition vers un mix bas carbone.
Les investissements massifs se concentrent sur les énergies renouvelables, l’hydroélectricité, la biomasse, le biogaz et les solutions de stockage. Le renforcement des interconnexions entre réseaux électriques et gaziers transfrontaliers est également crucial pour limiter la vulnérabilité aux chocs externes et garantir un marché intégré. Le plan REPowerEU3 et le programme InvestEU4 financent d’ores et déjà de nombreux projets en ce sens.
Reste un défi majeur : l’Europe produit une très faible part des métaux critiques nécessaires à la transition énergétique (lithium, nickel, cuivre, cobalt, terres rares). Garantir un accès sécurisé à ces ressources est indispensable.
Infrastructures : le socle de la compétitivité
La souveraineté européenne ne pourra pas se concrétiser sans des infrastructures résilientes et modernes. Cela suppose des investissements ciblés pour moderniser le ferroviaire, renforcer les installations énergétiques, développer les data centers et accompagner l’essor de l’intelligence artificielle.
La modernisation des bâtiments publics, des réseaux de transport et des chaînes logistiques est également au cœur des priorités. L’automatisation industrielle sera déterminante pour maintenir la compétitivité des entreprises européennes. Parmi les initiatives phares figure le plan d’investissement allemand de 500 milliards d’euros, qui bénéficiera notamment aux sociétés industrielles de taille intermédiaire.
Sécurité alimentaire et santé : garantir l’essentiel
Le secteur de la santé est devenu un enjeu de souveraineté avec la pandémie de COVID-19. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la dimension réglementaire, avec pour objectif de raccourcir les délais d’approbation des nouveaux médicaments, tout en garantissant la protection de la propriété intellectuelle pendant plus longtemps.
L’alimentation constitue également un pilier central de l’autonomie européenne. La nouvelle politique agricole commune vise à assurer la résilience des chaînes d’approvisionnement, garantir la qualité et la suffisance de l’offre, tant pour les citoyens que pour l’élevage, et soutenir une agriculture durable face aux chocs climatiques et géopolitiques.
Conclusion
Défense, technologie, énergie, infrastructures, santé et alimentation : autant de domaines interdépendants où l’Europe ne peut plus se contenter de dépendances extérieures. La prise de conscience est désormais partagée : la souveraineté n’est plus un choix, mais une nécessité.
Cette dynamique est déjà engagée, mais elle exigera des choix politiques clairs, des investissements massifs et une coopération réelle entre États membres.
Ce mouvement n’est pas seulement institutionnel : il façonne dès aujourd’hui l’économie, les industries stratégiques et les marchés financiers. Les implications sont considérables pour les acteurs économiques, les entreprises et les investisseurs.
Chez ODDO BHF, nous suivons de près ces évolutions et réfléchissons aux manières de s’y exposer. Pour en savoir plus et explorer ce que cette transformation européenne peut signifier dans votre propre contexte, nous vous invitons à vous rapprocher de vos gérants conseillers habituels.
1 L’European Chips Act : Règlement européen sur les semi-conducteurs
2 GNL : gas naturel liquéfié
3 REPowerEU : plan de l’Union européenne visant à réduire la dépendance de l’Europe à l’égard des combustibles fossiles et à accélérer la transition vers l’énergie verte.
4 InvestEU : Le programme InvestEU vise à donner une impulsion supplémentaire à l’investissement durable, à l’innovation, à l’inclusion sociale et à la création d’emplois en Europe.
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