Mathilde Bonvin – Responsable ESG ODDO BHF Banque Privée

Le secteur de la défense au cœur des débats de la finance durable

Un sursaut européen dans un contexte géopolitique tendu

En Europe, la Commission Européenne réagit au changement d’équilibre international venant des États-Unis et de la Russie. La Commission souhaite désormais réarmer le continent en dévoilant une chaîne d’annonces sur le secteur de la défense. Le 25 février, le Commissaire à la défense et à l’espace a organisé une table ronde sur l’investissement privé de la défense, dont les objectifs étaient de changer les perceptions des acteurs financiers, clarifier la réglementation finance durable pour qu’elle n’entrave pas les investissements dans la défense et créer un environnement plus favorable à l’industrie de la défense et aux acteurs financiers.  

Le 4 mars, la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, annonce le plan ReArm Europe1, visant à accroître les dépenses en matière de capacités de défense pouvant mobiliser près de 800 milliards d’euros suivi le 19 mars, par un Livre blanc sur la défense européenne2.

Mobiliser la finance privée ?

Jusqu’à présent, l’industrie de l’armement a été largement stimulée par des budgets publics, via l’impôt et les commandes d’État. Cependant, ce secteur économique est constitué de PME, d’entreprises non cotées et les start-ups de la tech sous-traitants nécessitant du financement privé. En effet, selon la Commission Européenne, l’accès au financement est une préoccupation majeure pour 44% des PME de la défense, un chiffre bien supérieur aux PME civiles.

Des prises de position se font alors entendre : alors que le Directeur Général de Mirova, société de gestion spécialisée en finance durable, publie une tribune sur le sujet et déclare « La finance durable doit continuer à aider à résoudre les grands enjeux de la planète, qu’il s’agisse de souveraineté ou d’intelligence artificielle »3, BNP Paribas « réaffirme son engagement de longue date auprès du secteur de la défense et de ses clients entreprises » dans un communiqué de presse4.

L’ESG et l’armement

L’investissement ESG, prenant en considération des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance a traditionnellement exclu une partie des investissements dans le secteur de la défense jugé non éthique.  De fait, l’exclusion des armes dites « controversées » s’impose aujourd’hui comme une des pratiques ESG les plus répandues dans l’univers de la finance. Les armes controversées désignent les armes de destruction massive soumises à des traités internationaux, les armes conventionnelles problématiques, l’uranium, la production, le commerce et stockage de ceux-ci. Elles s’opposent aux armes dites « conventionnelles », n’étant pas sujettes à des traités internationaux. À noter que les politiques d’exclusion des gérants d’actifs peuvent varier en fonction du pourcentage de chiffre d’affaires exposé à ces industries ou encore selon les activités (directes ou sur la chaine de valeur).

Par exemple, le label français ISR (Investissement Socialement Responsable), encadré par le Ministère de l’Économie exclut les armes controversées dans son référentiel mais pas les armes conventionnelles qui constituent une exclusion plus restrictive mais bien prônées par les labels ISR allemands et belges.

L’ESG semble tiraillé entre, d’un côté une supposition selon laquelle l’armement menacerait les droits de l’homme si utilisé par des régimes autoritaires, et de l’autre côté comme pouvant contribuer à l’Objectif de Développement Durable des Nations Unies numéro 16 « Paix, justice et institutions efficaces ».

De nombreux fonds d’investissement durables remettent en question leur politique d’exclusion pour l’assouplir et permettre de soutenir les industriels de défense européens dans un contexte géopolitique inédit en Europe.

Les informations et analyses contenues dans ce document reposent sur des sources réputées fiables à la date de la publication. Cependant, elles peuvent évoluer en fonction des nouvelles données ou régulations à venir. Ces évolutions peuvent impacter les objectifs réglementaires et les priorités stratégiques en matière de durabilité. Ce document ne représente pas une recommandation d’investissement, ni un conseil personnalisé.


Sources :

[1] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_25_793?utm_source=miragenews&utm_medium=miragenews&utm_campaign=news

[2] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_25_793?utm_source=miragenews&utm_medium=miragenews&utm_campaign=news

[3] Philippe Zaouati : «La défense, un défi pour la finance à impact», l’Agefi, https://www.agefi.fr/asset-management/analyses/philippe-zaouati-la-defense-un-defi-pour-la-finance-a-impact

[4] https://group.bnpparibas/communique-de-presse/bnp-paribas-reaffirme-son-engagement-de-longue-date-aupres-du-secteur-de-la-defense-et-de-ses-clients-entreprises

[5] https://green-finance.fr/panorama-des-labels-europeens/