Caroline Mignaval – Ingénieur patrimonial
Hériter au-delà des frontières : comment éviter une double imposition ?
Dans un contexte de mobilité internationale croissante des personnes et de leur patrimoine, il n’est pas rare qu’une opération de transmission (donation ou succession) franchisse les frontières. Fiscalement, cela peut donner lieu à une double imposition, à la fois en France et dans un Etat étranger.
Pour atténuer, voire au mieux, éviter cette situation, il convient tout d’abord de rechercher si une convention fiscale a été signée entre la France et l’Etat étranger concerné. Ces conventions bilatérales, lorsqu’elles existent, permettent soit une répartition des droits d’imposer soit un mécanisme de crédit d’impôt. Cependant, ces conventions sont relativement rares dans le domaine des mutations à titre gratuit, en particulier en matière de donation.
En l’absence d’une telle convention applicable, le droit fiscal français prévoit un mécanisme subsidiaire pour atténuer cette double imposition à l’article 784 A du Code Général des Impôts. Ce dispositif permet, lorsqu’un bien est situé hors de France, d’imputer les droits acquittés à l’étranger sur les droits dus en France.
Toutefois, si le texte fait référence à « l’impôt acquitté », il ne précise pas les règles de calcul de l’impôt étranger pour déterminer le montant de la restitution. Cela a pu créer des incertitudes pratiques, notamment lorsqu‘un Etat étranger applique des règles fiscales ou des évaluations patrimoniales distinctes. Un arrêt récent et bienvenu de la Cour d’appel de Paris* est venu préciser les modalités d’imputation dans ce type de situations et clarifier ainsi ce point.
Les faits sont les suivants :
Madame N, résidente fiscale suisse dans le canton de Vaud, donne la nue-propriété de titres d’une société dont le siège social est situé hors de France (société Ebene de droit luxembourgeois), à ses enfants domiciliés en France.
En France, les droits de donation sont calculés sur l’assiette de la nue-propriété donnée.
Dans le canton de Vaud, le principe de démembrement est méconnu. Les droits de donation portent donc sur l’assiette en pleine propriété.
En l’absence de convention signée entre la France et la Suisse en matière de droits de mutation à titre gratuit, l’article 784 A du CGI permet d’imputer, pour ce bien situé hors de France, l’impôt payé en Suisse sur les droits exigibles en France.
La question qui se posait alors était celle de l’assiette de l’imputation : les droits de donations payés en Suisse (assiette valeur en pleine propriété) peuvent-ils pleinement s’imputer sur les droits de donations français (assiette valeur en nue-propriété) ?
L’administration fiscale avait d’abord réduit cette imputation au motif de l’assiette divergente. Mais la Cour écarte finalement cette interprétation, rappelant que l’article 784 A du CGI se réfère uniquement à l’impôt acquitté, sans condition liée à l’assiette de calcul retenue à l’étranger. Elle reconnaît donc le droit à restitution intégrale de l’impôt étranger, dans la limite de l’impôt payé en France, quand bien même l’assiette de calcul diffère.
Dans ce contexte, l’article 784 A du CGI constitue un outil essentiel de planification successorale. Pour les clients disposant d’un patrimoine international et envisageant une transmission transfrontalière, cette décision renforce la sécurité juridique et rappelle l’intérêt d’un accompagnement fiscal expert. Il conviendra d’observer si cette jurisprudence fera l’objet d’un pourvoi en cassation ou si elle sera confirmée par d’autres juridictions. Cependant elle constitue d’ores et déjà une avancée notable pour la planification patrimoniale dans un environnement international.
* 26 mai 2025 Cour d’appel de Paris RG n° 22/17216
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